Le corps épais du loup blanc s'abat sur elle avec une puissance démesurée, elle se sent vaine face à tant de détermination dans cette mâchoire parfaite qui vous démantèle le dos en moins de deux; et pourtant s'éreinte à protéger les colonnes fastueuses de son corps déjà souillé contre les prédateurs. Sa croupe réussit à s'élancer du sol dans un effort prodigieux et retarde le moment où les dents briseront sa nuque. Alors ses grands yeux bruns ployent tout entier vers le mâle gris, gravure magnifique et fresque de puissance qui ne trouve rien pour le rebuter, tout en lui explose de savoir et il n'a pas de mal à la délivrer du fardeau qui opressait sa colonne vertébrale.
Dans ce moment si critique elle s'abandonne une infime seconde à la dérision, ses longs cils recourbés couvant les prunelles chaudes et sombres cherchent le regard de son salvateur. Geste erroné qui le détourne de son combat. Mais il est en cet instant plus placide qu'elle et n'a de cesse de poursuivre les attaquants. Alors Earwen donne un violent coup de rein pour se redresser, si brusque que, dans un souffle rauque et féminin, son corps blessé s'écrase contre le tronc de l'arbre et entraîne avec elle le loup noir qui tenaillait son antérieur. Ses paupières battent de douleur, dans la brume sanguinolente elle entrevoit la silhouette aérienne et magistrale de l'étalon déjà rencontré. Elle sait qu'elle ne mourra pas. Elle sait ce qui l'attend. Son flanc gracile tremble, elle admire cette majesté qui régit les muscles du mâle et cette froideur céleste dans sa voix. Dans un effort douloureux, elle fuit la hargne du prédateur noir et chancèle vers l'étalon dressé et dominant, son souffle tiède se perd sur les muscles de son arrière-main; elle frémit, prête à se battre.