J'ai attendu un miracle pendant des années, j'ai senti tout mon être dévoré par le brasier qui érodait un peu plus les parois de mon corps chaque jour. Jeune et perdue. J'ai lentement fini par me résigner, j'ai accepté toutefois sans céder. J'ai compris qu'il y a des choses qu'il ne faut pas essayer d'expliquer. Il faut simplement faire avec, mieux, il faut se battre, c'est là qu'est notre raison d'être. Tant qu'on le veux, on pourra continuer à vivre. J'ai encore ce feu qui s'est embrasé en moi, ma seule parcelle d'honneur, d'estime et de courage; c'est ça qui me fait toujours espérer. Vaguement espérer. Peu importe ce que je traverserais, voilà bien la seule chose en laquelle j'ai confiance : une infime partie de mon être, celle qui n'est pas un monstre. Celle qui m'est si précieuse, que je désire tant protéger. Je ne l'ai jamais vraiment montrée à personne. Je ne veux pas mourir sans l'avoir fait.

Une silhouette blanche, contrairement à son habitude, marche à découvert au beau milieu d'une plaine, et en plein jour. Le soleil printanier peine à se refléter sur sa robe jaunie et laiteuse. Elle se mouve comme un fauve, comme si à chaque instant elle allait passer à l'attaque. Elle semble chétive, gauche et vulnérable, mais de ses lèvres s'échappe une suite de mots incompréhensibles et vilainement marmonnés. Ses yeux noirs sont fixés sur le sol, immobiles dans leurs orbites, et elle fonce tête baissée. Scylla est totalement indifférente à ce qui l'entoure, car la folie vient de s'emparer d'elle, comme un vautour imprévisible qui fond sur sa proie. Cela fait plusieurs minutes déjà qu'elle marche à cette allure. Ses sens hyper-développés réceptionnent tout ce qui bouge et qui sent autour d'elle, mais ces informations n'arrivent guère au cerveau, celui-ci s'étant neutralisé. Alors, n'ayant pas fait attention à la silhouette équine qui peinait déjà à contrôler son corps devant elle, la petite jument lui rentre dedans de plein fouet. Elle s'arrête, secoue la tête et pose ses yeux sombres sur l'autre. Alors, le flot de paroles mauvaises s'éteint et un son guttural sort de sa bouche, bientôt suivi d'une phrase sifflée entre ses dents, un peu rauque :

- Oui, je pourrais te manger …

Ses prunelles noire s'animent d'une atroce folie tandis qu'elle découvre ses dents.