Le temps d'une danse. [Reveler]

Chante,
fais danser les mots, fais danser les fleurs,
fais-moi chanter.

L'ascension avait été rude mais vivifiante, elle avait quitté le sol gris d'une poussière chaude pour reposer ses poumons noyés de chaleur dans la montagne, tapissée d'une neige éternelle. L'Aube s'était à peine levée lorsqu'elle atteignit un petit plateau hors du monde et du temps, qui lui donnait à croire qu'elle vivait un rêve éveillée. La neige recouvrait ce petit coin de paradis en une couche opaque d'une blancheur immaculée; qui crissait dans un bruit d'amour sous ses sabots ronds. Emue de ce lieu d'une magie naturelle, elle laissa ses pas la porter le long de la neige, creusant de petits sillons. Elle était coite de toute cette beauté et pour une fois la solitude ne lui déplut pas tant. Un doux chant s'éleva dans l'air frais, voix chaude et humble, qui accompagnait aimablement le soleil tandis qu'il grimpait jusqu'au dôme céleste.

Lorsque je descendrai des Enfers,
Mon règne sera inévitable,
Vous mourrez tous pour moi,
Et non moi pour vous.

Le bel étalon bai brun regardait autour de lui d'un air distant, comme si tout ce qui se passait sous ses yeux ne l'intéressait guère. A ses pieds, se trouvait le cadavre d'un faisant, dans l'arbre voisin, deux écureuils se battait une noix, et devant lui se trouvait un chemin menant au sommet d'une colline. L'étalon au port majestueux s'avança vers le chemin, prenant garde de bien écraser le faisant a ses pieds. Le bruit des os qui craquaient fit sourire l'étalon, qui continua sa route. Arrivé au sommet de la colline, il regarda autour de lui. Rien, le néant total. Jusqu'au moment ou il remarqua une petite forme baie brune avancer vers lui, ou plutôt vers la colline. Il la fixa, tentant de voir si il la connaissait.

Puisse les noirs de coeur trouver la paix du repentir.

Toute occupée à sa gaie chanson qui contait l'histoire d'un monde perdu et enseveli autrefois prospère, elle ne le vit pas gravir le flanc de la montagne. Ce fut seulement lorsqu'il fut assez proche pour qu'elle entende le crissement de la neige sous ses pas qu'elle virevolta avec calme. Elle n'était plus seule. Les dernières notes de sa chanson s'évanouirent sur le bout de ses lèvres noires. Elle fit quelques pas avenants vers l'inconnu, le regardant avec des yeux chauds et tendres. C'était un grand brun, à l'allure musclée et noble, dont elle ne pouvait guère sonder l'humeur. Elle eut un petit sourire humble et serein, accueillante sans pour autant être exubérante.

- Comme c'est agréable de pouvoir goûter à la frâicheur d'une neige si pure en plein été, n'est-ce pas ? Sa voix était sucrée et discrète, mais elle emplissait toujours les coeurs d'une nature étrange et appaisante.

Puisse ton éternel cauchemar finir dans l'oubli mortel.

De ses yeux bruns, il fixa la jument. Il avait entendu avec justesse les notes cristallines de la voix de la brune, et en compris le sens. Non, il ne se laisserait pas amadouer. Agréable ? La Neige ? Non, point du tout, elle était juste bonne a laisser les traces des crimes.

- La Neige ? Agréable ? Vous moquez vous de moi, mademoiselle ?
De sa voix grave et basse, tel une orgue, le petit étalon brun ne se laisserais pas amadouer. Il se grandit, creusa son dos, releva son encolure tout en la ployant, découvrant son large poitrail. Sur ce poitrail, une grande cicatrice. Celle qui partait du milieu de son poitrail pour aller sur son épaule, traverser son garrot, continuer sur sa colonne vertébrale pour s'arrêter au haut de sa queue.

Voilà une perspective des plus affligeantes.

Elle s'étonna d'une réponse si vive et péjorative, point blessée en elle-même mais attristée de le voir si peu aimant de la Nature. Elle n'en perdit pas son sourire cependant. Elle était audacieuse et ne reculait devant aucune âme, même la plus dure et la plus noire qui soit. BlueBerry aimait le monde, son monde, avec ses ténébres et ses lumières, elle l'aimait d'une façon considérablement perpétuelle.
L'étalon brun à la voix si profonde et résonnante détendit son dos et le soleil colora d'une étrange façon une longue balafre qui courait tout le long de son corps. Elle observa un moment la cicatrice, se demandant quel destin l'avait conduit à ce mal. Puis elle releva ses paupières et plongea son regard chaud et d'une sérénité imperturbable dans le sien.

- Pourquoi le ferais-je seulement ? Demanda-t-elle d'une voix douce et réservée, mais non timide. Mais soit, je peux concevoir que vous n'aimiez pas la neige. Qu'aimez-vous donc, monsieur ? Continua-t-elle posément, souriante.

Et les ténèbres t'engloutirent.

L'étalon brun perçu le regard de la jument regarder sa cicatrice, et détourna la tête. Puis, il la releva. Le soleil frappait sa robe sombre, il avait chaud, très chaud. Qu'aimait-il ? Rien. Le néant, tuer, vivre pour tuer. Saillir aussi. Il aimait faire mal, et il aimait avoir mal.

- Je ne sais pas pourquoi vous le feriez. Pour m'énerver ?Demanda de sa voix grave l'étalon brun.Non, je n'aime pas la neige. Car elle laisse des traces. Et dans ce cas, nous ne pouvons rien faire pour nous cacher. C'est a cause de la neige que je me conduit ainsi, et je m'en excuse. Ce que j'aime ? Mais rien, très chère, rien du tout, si ce n'est oublier sa propre souffrance dans la douleur des autres.

Je ne crois pas que la mort soit noire;
Comme tous l'avaient déjà dit avant toi.

Au moins devait-il trouver une certaine occupation dans l'art de la conversation car il répondit abondamment. Cela plût à la petite baie et son sourire s'élargit quelque peu. Elle avait toujours accepté tous les êtres tels qu'ils étaient, donnant la priorité à ce qu'ils avaient de bon et non ce qu'ils avaient de mauvais. Elle ne comptait guère lui faire la morale, non, ce n'était qu'une discussion posée, elle voulait partager avec lui, sans autre ambition que de passer un agréable moment.

- Je ne vois pas non plus ce que je gagnerais à vous fâcher, répondit-elle, les yeux brillants d'un certain amusement qui lui allait bien. Avez-vous donc une raison de vous cacher ? Et de vous excuser ? Vous ne m'avez guère offensée, dit-elle de sa voix chaude et harmonieuse.

Elle quitta son regard pour observer les alentours avec une certaine désinvolture, réfléchissant posément aux dernières paroles du mâle brun. Elle était réellement affligée de comprendre qu'il avait un passé difficile et de douloureuses blessures.

- Ne rien aimer est déjà une douleur en soit, murmura-t-elle, la mine assombrie par l'inquiétude et par la tristesse d'un tel phénomène. Elle releva ses grands yeux humides vers lui. Elle ne pouvait pas croire qu'infliger sa souffrance aux autres fut un réel éxutoire.

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