Son sabot à la corne usée et couverte d'une boue sèche, racla le sol froid. La fine poudreuse fondit sous la chaleur et le poids du pied, et laissa respirer de la verdure emplie de vitamines. Son pied ne l'avait pas écrasé et l'ayant libéré de l'étreinte mortelle et givrante de la neige, elle était là minuscule tache verte au milieu de blanc, comme appelant notre grand gaillard à la dévorer avec amour et humilité. Son encolure large et d'un doré quelque peu terni par son poil d'hiver, s'abaissa doucement. Comme s'il eut été en face d'une créature frêle et sans défenses qui serait terrorisée au moindre mouvement brusque. Il saisit la jeune pousse délicatement entre ses lèvres roses et grises, comme si elle eut été une fleur, et presque tout aussi doucement il la cueillit et la mangea sans aucune vergogne cette fois ci. Son butin aussi maigre soit-il était largement meilleur et riche que toute les autres herbes planquées sous la neige, d'un vert terni qui n'avait le gout que d'une eau gelée et salie. Les naseaux aux ras du sol, il frôla la neige un instant, puis, après deux pas latéraux, il effectua la même manœuvre que tantôt. Son pied libéra une jeune pousse toute aussi verte et appétissante, mais cette fois-ci il y mit moins de douceur et plus de vigueur.

Après ce médiocre repas, l'entier redressa l'encolure, portant son regard remplit de fatigue et d'une sagesse profonde sur le paysage qui l'entourait. La neige avait recouvert les terres de son manteau blanc et poudreux. Le paysage était magnifique à ses yeux, d'une gamme de couleur très simple et d'une tranquillité surprenante. Et c'était sans doute ce calme qu'il appréciait tant, il n'y avait pas un bruit de sabots, pas un bruit de battements d'ailes ni même le chant d'un ruisseau. C'était comme de se retrouver seul dans un monde dénué de vie et cette sensation aussi étrange lui plaisait. Un soupir souleva ses flancs et en quelques enjambées il reprit son bonhomme de chemin, s'avançant doucement mais surement, vers un mont sombre et terrifiant. Il ne payait pas de mine d'en bas, mais l'étalon pressentait déjà les sentiers escarpés, les roches glissantes et les crevasses qui pouvaient vous surprendre au détour d'une haie desséchée. Mais ce n'était pas ce genre de détails qui pouvaient l'inquiéter, car déjà il grimpait cette montagne. Ses sabots frappaient des roches instables, glissaient sur le givre, s'enfonçaient dans la neige. Et son souffle rythmait la cadence, l'emmenant ainsi sans trop grand effort jusqu'à un petit plateau entouré de rares conifères. Le palomino s'arrêta sur ce dernier, qui surplombait la plaine dans laquelle il se trouvait tantôt, et de ce point de vue magnifique il pouvait enfin voir toutes les terres qui ne demandaient qu'à être parcourues.