Les éclats bleutés ne vinrent pas s'aligner contre ses pupilles comme ils l'avaient fait en hiver, et bien longtemps avant, par des jours d'immenses ciels ensoleillés.
Ici un voile opaque recouvrait, avec une certaine habitude moyennement sereine, les débris d'un ciel autrefois vif et brûlant.

Cela faisait un peu moins d'un an - tout au plus, une drôle d'éternité - qu'il s'était lié du lien le plus étroit avec sa bien-aîmée, sa moitié, ou peut-être même plus, sa propre personne. Jamais il n'avait été aussi uni avec lui-même que depuis ces jours. Ces jours qui lui paraissaient déjà anciens. Il semblait que l'Autrefois était un ailleurs fleuri, vigoureux et rapide, une jeunesse au génie d'éclair, des flashs tout aussi harmonieux que discordants d'un passé tel qu'il aurait pu être celui d'un Autre.
L'Aujourd'hui était un vaste jour, à jamais un crépuscule d'une nuit; figé. Mais l'Aube ne venait jamais, oh, il le savait, qu'elle était à venir ... Comme sans cesse en cet Aujourd'hui, tout son esprit s'accordait intimement à celle qu'il avait faite sienne. Son amour. Sa vie après la mort, sa vie avant la vie.

Le mâle gris s'arrêta sur la berge du grand lac après avoir descendu lentement les marches invisible de la pinède en pente. Le port de tête, noble et serein, était prolongé par un corps immuable, profondément en accord avec sa personnalité, dégageant une force tranquille, une puissance chaude et arrondie par ce phénomène absolument sublime et supérieur qui vous fiance définitivement à un Être rencontré.

Akira prolongea sa vue sur l'étendue de l'eau paisible. L'endroit était muet, ouvert à des espaces d'infini, mais plein d'une tendresse solitaire. Un souffle fou excava ses flancs lisses.
[...]
Puis il se mit à chanter; à mi-voix, avec cette voix extraordinaire semblant venir des confins d'un sud révolu, où auraient jadis vécu les grands rois d'un ancien temps.

Des volutes vaporeuses et invisibles embrumaient son esprit dans un mouvement réconfortant. Les effluves aquatiques et florales du lac, émanant plus dans le subconscient d'une nature à demi-vivante que dans la matérialité fugace des sens primaires. Akira sentit une certaine lourdeur opacifier son souffle lent.
Il amorça un mouvement aérien pour regagner les sentiers infinis de ces résines murmurantes et se perdre dans la volupté confondue de sa conscience et des grands pins aux brouillards translucides.

Mais, un son mat, un frisson terrien déchira cette torpeur symbolique, crissant anormalement dans l'atmosphère qu'il avait lui même transfigurée. Ses grands yeux bruns se rapportèrent au foyer bruyant d'odeurs et de couleurs tandis qu'il tournait le dos au lac immense. Il remonta la berge sans effort, sollicitant à peine la volonté de ses muscles patients, et s'arrêta à proximité de la nouvelle venue. Petite marionnette entremêlée dans ses fils, dont l'intérieur semblait n'être qu'un énorme capharnaüm, désordre apparent et confus, où l'esprit à vif appelait en vain à une sérénité consolatrice.
Le mâle gris expira avec douceur et chaleur, attirant à lui ce regard dont l'harmonie éventuelle s'était envolée - pour l'instant. De ces étrangers devenus des semblables, il en avait vu et accueilli un nombre illimité. Pourtant, chaque fois, cela était une redécouverte, une certaine curiosité et estime qui le touchaient pour ces êtres ballotés dans des labyrinthes existentiels.
Un sourire profond et franc sillonna discrètement ses lèvres, au souvenir d'une autre humaine au même destin avec qui il s'était d'une certaine façon lié d'amitié.

- Cela fait bien longtemps que je suis seul à arpenter ces terres mille fois explorées, je ne sais si je puis parler de jours ou de semaines. Aussi me semble-t-il heureux que nous nous soyons rencontrés. Si vous m'accordez votre compagnie, nous irons marcher le long de ces sentiers que nos ancêtres ont foulés, et nous parlerons, si vous le voulez bien.

A la parole habituée il ajouta le regard, significatif d'une sagesse généreuse; où s'oubliaient presque ses délires personnels ...