Arrache moi le coeur que je ne puisse plus avoir peur [L]

? (Ghost)

Devant moi s'étale cette immensité rouge, parsemée du vert des tiges. En cette saison si chaude les coquelicots sont tous en fleurs, je préfère rester sur le bord, j'ai peur qu'en m'avançant a travers cette mer de sang je ne casse des tiges, et écrase des pétales, je ne veux pas briser la beauté du paysage par ma présence, je serais une... ombre au tableau, cela me collerait bien car ma robe est noire. J'ai certes de grandes balzanes, et une belle-face, dans l'obscurité on ne me discerne, je suis une ombre parmi les ombres, et même le blanc de mon poil ne suffit pas a éclairer le futur incertain. Je suis forcée de vivre dans le présent, car je n'ai pas de passé, et, pour ceux qui ne connaissent pas la chanson : "pas d'passé, pas d'avenir". Il n'y a plus d'avenir sur la Terre, pas pour moi en tout cas, mais je n'ai pas le courage de mettre fin a mes jours, je ne sait d'ailleurs pas comment je pourrait faire.
Je ne peut imaginer de futur, car j'ignore totalement de quoi il pourrait être composé, je suis jeune, j'ai la vie devant moi, mais j'ignore que faire de la vie, je ne sait pas ce que signifie "vivre". Je ne connait rien aux coutumes des chevaux, et je suis particulièrement associable, tout du moins c'est ce qu'ils disent. Je fait de mon mieux, mais personne ne m'a appris a vivre. On m'a ravit mes souvenirs, et avec eux le comportement a tenir en présence d'autres équidés. Je ne connait rien du monde, je ne dit jamais ce qu'il faut lors des discutions...
J'aurais aimé pouvoir poursuivre mon monologue intérieur, mais un bruit attire mon attention, on dirait les sabots d'un cheval. Je vais encore devoir fournir moult d'explications concernant ma condition, tout cela est ennuyeux, si seulement je pouvais un jour rencontrer un équidé qui ne me poserait pas de questions, qui se contenterait d'être gentil.

[Je réserve la première réponse très chère huhu

]

Invité

Le plus drôle, c'est que je n'imaginais rien d'autre.

La corne encore incertaine de ses sabots ronds tâta avec une sérénité implacable la terre meuble qui fécondait cet océan rouge en floraison. Son regard morne appuya quelques secondes le paysage idyllique qui suscitait en elle un des rares plaisirs jamais ressentis. Il était assez difficile de définir la nature même de cette jouissance intérieure, qui n'animait ni son visage ni ses veines et ne laissait jamais de traces après son passage. C'était comme un soupir de vent, une joie fugace et vite oubliée qui n'avait pas de raison de faire naître un sourire et encore moins un quelconque autre sentiment. Leeward consentit à ce qu'une brise sans fraîcheur soulève ses poils bruns et fasse couler avec lenteur le fruit de la chaleur le long de ses courbes croissantes, sans élégance aucune. Ce même vent lui conta la présence bénigne d'une aînée. Ses pupilles sombres se posèrent sur l'inconnue un peu plus loin, tout comme elle, à la lisière du champ de coquelicots. Sa rétine se concentra sur elle avec justesse et lui apprit qu'elle était une inconnue connue, une déjà vue. Quelque part, dans un coin sombre. Elle s'en rappelait plus ou moins. Elle fit quelque pas, prise d'une avidité modérée de parler, seule chose qui suscita son intérêt, et non pas l'être dans toute sa complexité. Lorsqu'elle arriva à la hauteur de la noire, le regard couché sur les fleurs ployantes, elle s'annonça en ces termes spontanés et sans tons, qui n'exprimaient aucune intention car elle n'en avait guère.
- Je vous ai déjà vus une fois, vous et cet endroit. Il semble que la deuxième vous ait réunis, bien que je n'y vois à priori aucun sens particulier. Ses yeux se plissèrent à l'attention d'une sorte de trou dans les fleurs abondantes, que bordait des coquelicots légèrement affaissés comme si un poids les éreintait. Cela vint tout seul, comme une pensée qui rentre et qui repart. Les ossements de sa mère.

J'avais déjà oublié l'odeur de ce cheval étranger pour laisser mon regard flaner sur les coquelicots quand une voix inexpressive s'adressa à moi. Je tournais la tête dans la direction de la jeune jument brune. Elle me semblait familière mais son odeur ne me disait rien, nous nous étions peut-être croisées un jour, mais nous n'avions pas du parler. Ces mots étaient vides d'émotions... Ils avaient une sonorité étrange, je n'ai de plus rien compris de ce que ce cheval m'a dit. Cette jeune jument utilise des mots trop savants que dame l'ignorant. Je suivit son regard jusqu'à un creux dans le rouge des coquelicots. J'ignore ce que représentent ces trous mais la pouliche semble le savoir, il serait cependant surement "déplacé" comme ils disent de poser la question. - Je m'excuse, mais je n'ai absolument rien compris - Lachais-je finalement pour briser le silence.

Invité

Leeward observa un moment sa compagne de hasard, l'oeil vide, ce qu'il fallait de nécessaire, puis reporta son regard sur la dépression des coquelicots au milieu du champ. Ceux qui bordaient la route ployèrent sous le vent fin et effleurèrent son poil brun dans une caresse intime. Ayant encore peu de rencontres à son actif, elle n'avait guère de références et n'étiquettait rien ni personne de normal ou d'étrange; c'était aussi une philosophie, après tout. Aussi ne perçut-elle pas réellement l'éventuelle 'différence' de la ponnette noire. Elle n'avait pas besoin de comprendre cela. Elle répondit spontanément.

- Cela importe peu à vrai dire, il n'y avait pas lieu de s'attarder sur cela, tout comme sur toute autre chose. Vos excuses sont infondées, vous ne me faites aucun tort. Ton monocorde et préférable à un autre, plus piquant, qui aurait pu tourner ces paroles d'une façon vilaine et hautaine. Aimez-vous votre mère, ou bien l'aimiez-vous ? Demande saugrenue, elle ne s'en rendait pas compte. Le naturel de son être la conditionnait tout simplement à la conversation sans lendemain.

Je fronçais les soucils. Je me concentrais sur les mots de la jument, esseyant d'en capter l'essence, et de leur donner un sens. Je ne comprenais pas le début du message, mais j'arrivais a en comprendre la fin, concernant mes excuses infondées. Je m'apprêtait a répondre à cela quand mon interlocutrice me posa une nouvelle question, concernant ma mère. Mais que puis-je lui répondre ? J'ignore tout de cette mère protectrice qui m'a mise au monde. Son odeur... ou tout simplement son nom me sont inconnus... Je doute même parfois de son existence. J'avais éspéré me souvenir un jour, mais c'était comme si j'étais arrivée sur la Terre déjà adulte, envoyée par les cieux, un corps destiné a vivre sans souvenirs. Comme une expérience pour découvrir si la vie ne serait pas meilleure sans passé.
L'est-elle ? Je l'ignore, je ne peut pas comparer ma situation a celle des autres, n'ayant aucun souvenir. Ma situation est-elle meilleure ? Peut-être, je ne me plaint pas, je fais avec, à quoi serviraient les pleurs de toute façon sinon à me mouiller ? J'aimerais certes me souvenir, mais de quoi ? Parfois il vaut mieux ne pas réveiller le passé... Il est quand même regrettable que je n'en garde pas une miette, même si mon passé est mieux enfoui, j'aimerais connaître mes origines, avoir des souvenirs, même infimes de ce qu'a été ma vie un jour, ou bien découvrir qui je suis.
- J'imagine que j'aimais ma mère comme un poulain aime celle qui l'a mise au monde. - Répondis-je troublée. Question réthorique car je continuais sur ma lancée. - Je l'ai surement aimée, mais j'ignore de quel amour, c'est elle qui m'a mise au monde, nous avions un lien, mais j'ignore si cet amour dépassait la frontière de la protection maternelle. -

Invité

Leeward pencha sa tête en avant et souffla doucement sur le coquelicot le plus proche. Il avait une couleur très vive et était totalement épanoui, le rouge de ses pétales était jeune et vigoureux et l'on imaginait aisément la douceur de cette soie. Non, ce n'était pas le plus proche qu'elle avait choisi de faire tanguer. C'était son inconscient qui avait choisi le plus beau, le plus attirant. Ses yeux bruns se perdirent dans les profondeurs de cette mer sanglante. Pourquoi en était-il ainsi ? Peu à peu, le pourquoi s'insinuait dans son esprit et semait d'autres petits graines de pourquoi; elle commencait à s'interroger sur elle-même, tout doucement, imperceptiblement, mais sûrement. Ce furent les paroles de la ponette noire qui la tirèrent légèrement de cette torpeur. Ses yeux restèrent fixés sur un point imaginaire ballotté entre ces fleurs étranges. Elle répondit d'un ton tout à fait neutre mais ses mots étaient sensés, bien qu'impulsifs.

- Sans doute en était-il ainsi pour moi aussi. Vous parlez comme si vous me racontiez la vie de quelqu'un d'autre. Êtes-vous donc troublée à ce point sur votre propre compte ?

Elle laissa pour plus tard sa réflexion précédente, jouant entre la conversation et ses pensées.

La vie d'un autre serait certainement plus intéressante à raconter que la mienne.
Pourquoi est-ce que j'en parle ainsi ? To qui semble si intelligente tu ne l'a pas encore compris ? Est-ce donc si rare que d'avoir perdu la mémoire ? Devrais-je donc me promener avec autour du cou un collier avec écrit "attention danger" ? Est-ce si dur de comprendre que les souvenirs sont une chose futile ? Je n'ai pas envie de répondre a cette pouliche, j'en ai marre de me répéter, et d'être incomprise. Je suis comme les autres, les souvenirs en moins, mais on me traite en moins que rien, comme si j'étais un monstre, simplement parce que je ne respecte leurs coutumes, mais quelle stupidité de commencer une phrase par "Bonjour" aussi. - Il faut savoir avoir un regard extérieur sur sois ...- Répondis-je en hésitant, inventant au fur et a mesure. Je préférait ne pas croiser son regard, trop intelligent, trop compréhensif, et je me concentrais sur un point invisible, près des collines derrières lequel se couchait le soleil.

Invité

Leeward ne comprit pas vraiment le sens de la phrase de son interlocutrice, elle était encore jeune et avait été très peu confrontée au monde extérieur, et il fallait dire que ruminer avec son propre esprit vierge de tout sentiment ne pouvait rien lui apporter de plus que ce qu'elle avait déjà. Et puis, il n'était pas aisé d'acquérir toute connaissance d'une personne inconnue lorsque l'on avait échangé quelques mots dérisoires. La pouliche brune ne savait pas qu'on puisse perdre la mémoire et ne s'en doutait guère, et le savoir n'aurait pas influencé son comportement; rien ne le pouvait. Elle jeta un regard indifférent à sa compagne.

- C'est moi qui ne vous comprends plus. Ton morne, sans rancune.

Aussitôt, une inspiration gonfla ses flancs et ses hanches partirent sans préambule à l'assaut de cette mer rouge ondulante qui avivait en elle tant d'avidité. La jeune jument s'élança et fractura la barrière souple, les fleurs s'écartaient devant elle puis se refermaient derrière, elle ne les écrasait pas. La grâce sans doute, s'il du en être une, se trouvait là. Leeward marchait d'un pas sans vitesse mais régulier, convaincue. Elle s'arrêta après quelques mètres, réhaussa son encolure et resta immobile dans les fleurs dansantes. Elle ne l'avait pas oubliée mais elle n'accorda pas un regard à la ponette noire. Entrée une fois dans ce champ de coquelicots, elle n'avait pas regardé en arrière. Jamais. Et maintenant elle allait de l'avant, toujours. La dépression n'était plus très loin. Ses yeux bruns s'y accrochèrent un moment. Une curiosité démente démangea ses entrailles d'une force qu'elle n'aurait pas crue. Cela était si singulier pour elle qu'elle sentit sa peau chauffer.

- Voulez-vous venir avec moi ? Voix désuette, sans intérêt, morne. Une simple invitation dont on ne pouvait déceler le but; il n'y en avait pas. Impulsion naturelle, tout au plus.

Que veut-tu me comprendre si je ne me comprend pas moi même ?
Qu'est-ce que je cherche ? Qu'est-ce que j'attends de la vie ? Ou est-ce que je vais ? A quoi pourrait ressembler mon futur alors que je n'ai même pas de présent, car le présent appartiens au passé. Chaque seconde passée vas rejoindre le passé. Les autres chevaux vivent dans le futur, ou totalement dans le passé, ou suis-je situé ? Ou me classerait-on dans la grande histoire des chevaux ? Suis-je seulement destinée a savoir un jour ce que représentent les sentiments ? Suis-je destinée a savoir quoi que ce soit de mon passé ? Je suis comme un chaton aveugle, qui se battrait pour prouver sa valeur, mais qu'on regarde de haut, avec pitié, auquel on choisit la voix sans retour en arrière ou protestation possible. On me destine a être seule, il est difficile de sortir de cette ligne tracée pour moi si personne ne m'aide a en sortir. Le seul a avoir essayé est partit. Il m'a abandonné sans un mot, sans un regard en arrière, sans un adieu. Disparut.
Devant moi la pouliche c'était avancée dans les coquelicots. Elle est si élégante,, je suis plus trapue, j'ai peur de casser ces tiges qui sont aussi fragiles que la vie. Néanmoins je fait quelques pas en avant et je brise cette barrière qui me fait face comme une mer de sang. J'accélère, je passe au trot, au galop. Mes foulées sont souples, je traverse cette mer ensanglantée, comme une ombre qui ne ferait aucun dégât derrière elle. Les tiges s'abaissaient un instant, avant de se relever comme si elles avaient essuyé un coup de vent un peu violent. Je m'arrêtait aux côtés de Leeward. Son regard était concentré sur une dépression dans les coquelicots que j'avais aperçut de loin. Qu'étais-ce donc que cela ?

Invité

Elle sentit tout au même instant : le bruissement des fleurs saignantes, le courant d'air qui fuyait, le parfum de pierreries, le souffle léger. Les yeux mi-clos, elle s'amusa à deviner la distance qui la séparait de sa compagne, jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus. Ses paupières se rabattirent sur ses arcades, sa rétine fut éblouie par cette mer rouge. La beauté du lieu était intacte. Un repère. Un charme, une illusion, quelque magie noire peut-être ou quoi, juste une force, la retenait ici. Elle avait déposé en ce lieu quelque chose d'elle. Elle avait beau essayer de se rappeler, de le définir, c'était impossible. Un lien la réunissait à lui, à ces pétales et à cette terre battue. Une quelconque attraction, c'était son dépotoire. Leeward souffla doucement, mais très longuement, et ses yeux bruns rencontrèrent ceux de son interlocutrice, qui regardait l'objet de son attention; le trou. Elle suivit une nouvelle fois ce regard tout tracé, et débita d'une voix sans ton et pourtant différente des minutes antérieures.

- C'est là-bas que gîsent les ossements de ma mère. Je les y avait laissés. Sa voix baissa doucement jusqu'à ne devenir qu'un murmure uniforme et neutre. Un air de vent. Etrange symphonie. La confession avait un air de rien du tout. Etrange rencontre.
Elle gonfla ses hanches et se rapprocha de cette masse encore invisible.

Sa voix résonna a mes oreilles, bercée par le souffle du vent léger qui soulevait nos crins noirs. Une onde glacée me parcourut. C'est donc le cadavre d'une jument qui git ici. C'est un bel endroit pour mourir, surement le plus beau qu'on puisse trouver... La voix de la jument brune a changée, mais reste sans ton. Est-elle donc si insensible qu'elle ne ressent rien de plus en cet endroit ou elle a perdu celle qui l'a mise au monde ? Je n'ose m'approcher bien que la curiosité me titille. C'est elle, cette si jeune jument qui fait les premiers pas. Au début je reste en retrait, serait-ce considéré comme un sacrilège de m'approcher, briserais-je ainsi, en approchant, un charme secret, reliant mystérieusement, cette jument et ces ossements ?
Finalement, un pas après l'autre j'approche doucement, par respect peut-être, ou par peur, je reste légèrement en retrait, je n'ose baisser les yeux, je préfère les fixer sur ceux de cette pouliche, voir quelle seras sa réaction, tester sa tristesse. Que ferais-je si je me trouvais face aux ossements de ma mère ? Rien peut-être, ou peut-être pleurerais-je de n'avoir jamais pu la connaître... Ou plutôt la re-connaître...

Invité

Leeward s'avança sans vergogne jusqu'à ce que ses prunelles surplombent les derniers coquelicots bordant ce trou du néant. Le lieu était une idylle parfaite, avec sa ronde éternelle de vermillon et de grenat, une danse effrénée que seuls régissent vent et terre; la nature est son propre maître. Les yeux hagards s'épanouirent en vue de ce qui n'était plus qu'une enveloppe charnelle défaite qui s'ensevelissait doucement avec le temps. Ce n'était presquue plus que des ossements, où s'accrochaient encore quelques bouts de peau, de chair, de n'importe quoi. La carcasse était insignifiante. C'était la première fois qu'elle retournait sur ce lieu de mort et cela n'avait pour elle aucun sens, sinon que c'était peut-être plus un lieu de vie. Elle ne bougea pas, immobile, ses crins brunis par l'âge ballotés dans cette mélodie houleuse. La paix faisait inconsciemment son chemin. Alors que jusqu'ici elle avait semblé totalement ignorer la présence de sa compagne, elle s'adressa à elle, sans pour autant la regarder; elle la sentait juste. Il semblait que les deux hémisphères de son cerveau soient étrangement séparés et à la fois liés, d'une manière brutale et insolite.

- Approchez-vous. Les ossements ne méritent ni respect ni crainte, ils sont l'oeuvre de la Nature et celle-ci ne fait que reprendre ses droits. Sa voix douce, féminine, presque encore enfantine et pourtant aux tonalités gutturales fut emportée par une bourrasque. En fait, c'était vraiment une très jolie voix. Une voix de princesse et d'héröïne. Elle accorda un temps à la vie puis reprit, d'une voix très légèrement plus basse, mais toujours de cette même voix posée. Je me demande ce que je trouverai après la mort. Quand mon corps sera livré aux entrailles de la terre, serais-je encore quelqu'un ? On parle d'âme et d'esprit, ont-ils leur place autrepart que sur terre ? Ce sont là des questions auxquelles même les croyances les plus fortes ne pourraient répondre. Qu'en pensez-vous ? C'était un de ses plaisirs sereins, la discussion, la philosophie ... L'impulsion de ses mots lui était toute naturelle et il n'y faisait guère attention, c'était inné.

Je fit bouger mes oreilles en signe d'assentissement quand la jument m'affirma que les os ne méritaient pas qu'on les craignes. Je fit un effort pour m'approcher, posant mon regard sur ce avait été un jour une jument, la mère de la pouliche qui était a côté de moi. Je regardait ce qui restait de ce corps, puis me détournait pour aller plus loin dans le champ de coquelicot. Je me retournait au bout de quelques mètres pour écouter la jeune Leeward me parler de l'au delà et de le mort. - N'est-il pas un peu tôt pour songer a la mort ? Elle peut survenir n'importe quand, mais ici il y a peu de risques. - Lui dis-je avec prudence, réfléchissant a ces paroles. - L'au delà. Qu'est-ce ? Des chevaux en parlent mais personne n'est là pour confirmer qu'il existe. Si nos avons bien une âme quel est son rôle ? C'est plutôt cette question la que l'on doit se poser. En connaissant l'utilité de l'âme on peut plus facilement deviner ou elle vas lorsqu'on meurt. - Je n'ai pas pour habitude de philosopher, de toute façon vu mon peu de souvenir c'est assez difficile, mais il m'arrive a moi aussi de me poser des questions sur le sens de la vie... Sur le sens de MA vie....

Invité

Ses oreilles se pointèrent progressivement vers son interlocutrice qui s'était un peu éloignée, son corps brun jouxtant les coquelicots avec une grâce dont elle ne se rendait certainement pas compte. Leeward avait ses yeux posés dans les siens, comme emboîtés l'un dans l'autre, mais son regard n'était pas insistant comme s'il avait voulu vous sonder. Son regard avait certainement ses mystères, mais il était pourtant d'une platitude déconcertante, ce n'était pas par ce biais-là qu'elle retenait l'attention des autres. Son souffle était régulier, elle puisait dans les parfums doucereux de la Nature, elle se sentait bien, comme à son habitude, mais là c'était différent. C'était mieux que bien, c'était évasif, irrationnel. Un sentiment incompris qui cheminait d'une façon floue.

- La mort est semblable aux plaisirs charnels, on peut y penser sans les attendre ni les désirer, observa-t-elle en réponse à sa compagne. Mais elle savait que l'autre cherchait savamment ses mots. Et Leeward les reçut, sans les juger, et les trouva même remarquablement réfléchis. Cela lui plut. Ses prunelles papillotèrent un instant vers les ossements, puis retombèrent sur l'inconnue qui ne l'était plus tant. Vos paroles ont sans doute leur part de vérité. J'ignore si l'âme a un rôle. Est-ce une superstition ou une croyance, une matérialisation des choses ou au contraire un tableau abstrait qu'un jour un fou a peint ? L'âme je ne la sens pas, elle ne me pèse pas, débita-t-elle naturellement, sans aucune pudeur. Soudain, son intérêt pour ces choses-là sembla retomber comme une pâte et elle fit quelques pas vers la ponette noire. Parlez-moi de vous. Ce n'était pas un ordre, encore moins une supplication ou un souhait avide. C'était comme tout le reste, dénué de sens.

Je soutins le regard de la pouliche brune. Ce n'était pas un regard que j'avais envie de fuir, il n'était pas inquisiteur, et encore moins agressif ou sondeur. Ces yeux bruns étaient une abysse dans laquelle on pouvait avoir envie de plonger. Je suivis un instant la courbe de son corps élégant et fin. Le soleil embrasait le rouge des coquelicots, et leur couleur semblait se refléter sur la robe brune de la pouliche, la dotant de reflets uniques. Je l'écoutais parler, d'une oreille distraite, mais tellement attentive. Il est difficile de croire que cette jument est si jeune. Elle parle comme si elle avait vécu déjà tant de choses. Le monde est vaste, ne risque t-elle pas un jour de se lasser de la vie a savoir sur elle tout ce qu'il y à connaître ?
Un léger frisson me parcourut quand Leeward me demanda de lui parler de moi. Que puis-je répondre a cela ? Je suis déjà une inconnue pour mi même, alors comment pourrais-je expliquer a quelqu'un d'autre ce que je ne m'explique pas a moi même ? Mais de toute façon qu'ai-je a perdre ? Un peu de temps sur mon existence ? Cela ne me tueras pas, et ce ne sont pas quelques minutes qui me perdront. - Que souhaite-tu savoir sur moi ? - Demandais-je en retenant un soupir.

Invité

Leeward ne perçut pas l'attitude retenue de la noire comme un embarras ou un ennui, car ces choses-là lui étaient inconnues; aussi n'était-elle pas gênée d'être aussi spontanée avec elle. Elle avait beaucoup de vocabulaire et de notions philosophiques qui lui traversaient merveilleusement la tête, mais elle était aussi d'une immaturité sans fond, jeune et vierge, son terrain émotionnel n'était qu'un champ en friche et intact et elle était incapable d'affronter la vie des mortels avec ses déboires, ses peines, ses joies et ses mystères, elle était incapable d'avoir une place au près des siens. Leeward, de son nom, était fille du vent et du rien, vagabonde aux paroles évasisves et réfléchies par sa conscience inexistante, elle allait sans coeur et sans âme, ni solitaire ni solidaire; une sorte de spectre que la Nature avait enfanté.
Ses yeux bruns ployaient sans interruption vers la ponette noire, doux et sereins. Elle n'avait pas encore compris qu'on avait ravi les souvenirs de cette dernière, mais elle appréciait raisonnablement sa compagnie.

– Ce que vous voudrez bien me dire. Parlez-moi de ce que vous croyez être et ressentir, parlez-moi de ce qui est votre vie ou qui justement ne l'est pas, le rien est quelque chose, le néant est acceptable, il suffira; parlez-moi des Autres. Sans vraiment le savoir, elle avait plus ou moins fomulé, dans un accès, ce que Ghost pouvait lui répondre.

La jeune jument, à peine femme, décala légèrement ses hanches pour frotter ses naseaux convoîtés par les insectes contre son antérieur, avec la grâce invisible et sans lendemain que le monde lui avait transmise; elle grandissait si vite.

Mes pensées sont confuses. Rien de ce que j'ai vécu, ne m'invite a répondre, rien de tout ce que j'ai vu ne m'incite a parler. Par ou commencer ? Dis moi, ou aller ? Rien n'a changé. Dois-je répondre que mon esprit et mes souvenirs sont obscurcis par une voile noir qui refuse de se lever malgré tous mes efforts ? Est-ce compréhensif ? N'est-ce pas preuve de folie ? Car c'est ainsi qu'on me considère : Folle. Les autres chevaux sont intolérants et n'acceptent pas la différence, ou bien ils la craignent, ce qui au final reviens au même. - Les autres ne sont pour mi rien de plus qu'un décor, ils existent pour me hanter, et je m'efforce de les éviter. Ce que je crois être ? J'aimerais croire que je suis quelque chose, mais ce sont toujours les mêmes mots qui sortent de la bouche des autres, j'ai du mal a ne pas finir par y croire. Ma vie, je ne l'appellerais pas ainsi. Je n'ai pas l'impression de vivre. Tout ce que je possède dans ma mémoire est noir. Des souvenirs inaccessibles, que je crois parfois disparus a jamais, mais que je continue a chercher, même si mes efforts semblent désespérés. - Tout cela, tout ce que je pense, je pourrais encore parler très longtemps, mais j'en ai déjà trop dit, c'est la première fois que je parle aussi librement, a elle maintenant de juger.

Invité

Son regard se perdit dans l'horizon azuré où s'éteignait doucement le rouge des coquelicots. Ses oreilles avides tendaient tout à fait vers la ponette noire avec une attention marquée, et elle reçut ces mots avec un plaisir non dissimulé, et s'en délecta d'autant. Un sourire apparut alors sur ses lèvres brunes. Un sourire, oui, simple, délicat et spontané. Ce n'était peut-être pas la première fois ... quoique, peut-être, si, elle ne savait pas, sourire n'avait rien d'extraordinaire, c'était comme cingler l'air de sa queue et dodeliner de la tête, c'était comme le reste, un mécanisme physique qui annonçait dans son cas qu'elle entendait quelque chose qui lui plaisait. Les mots pour les mots, leur saveur, la complexité de l'être.
Elle ramena ses prunelles brunes sur sa compagne, ayant maintenant saisi ses tourments même si elle n'en connaissait guère l'ampleur émotionnelle.

- Voilà une réponse que j'attendais, et j'aime votre façon de parler, elle me plaît et je m'en accomode bien, mieux qu'avec d'autres. Je comprends mieux maintenant ce qui vous trouble. Peut-être que vous devriez arrêter de chercher dans le noir. Peut-être n'y-a-t-il après tout rien à trouver. Nous n'avons pas besoin de passé. Et je ne vois pour vous pas d'autre issue si vous en quête de bonheur, ajouta-t-elle en toute franchise, son oeil noir planant vers son interlocutrice, ses derniers mots avaient été ceux qu'elle avait déjà entendus de la bouche des autres et qui ne venaient pas d'elle, elle n'aurait pu y penser.

Je croisais le regard de la pouliche. J'avais du mal a croire que c'était bien moi qui avait dit tous ces mots, moi qui ne parle que très peu, ou juste pour dire l'essentiel... - Il est difficile d'arrêter de chercher quand le noir, quand c'est lui qui compose votre vie. Le passé est enfoui, et le futur si indéterminable. De chaque côté je me retrouve face a un gouffre dans lequel j'ai peur de tomber. Le futur est a découvrir, mais que me réserve t-il ? Et dans le passé, même si je souhaite ardemment faire la lumière, n'est-il pas des choses qui devraient rester cachées ? - Répondis-je doucement à Leeward, finissant presque ma phrase dans un murmure. Après tout, qu'avais-je a attendre de la vie ? Elle ne m'a pour le moment rien apporté de bon, ou me l'a déjà retiré. Les regards que j'ignorais par le passé me blessent maintenant, et j'ai si peur des pièges que me réserve le futur. Qu'est-ce qui me dit que le futur vaut la peine d'être vécu ? Mais en même temps, qu'est-ce qui me dit qu'il ne vaut pas la peine d'être vécu ? J'ai peur d'avancer, mais j'avance quand même, et pour le moment avancer ne m'a rien apporté.

La couleur sombre et dure des yeux de Leeward contrastait étrangement avec la douceur enfantine de leur contour, elle était du genre à vous regarder sans détour; impartiale. Le vent ébranla les coquelicots autour d'elle. La pouliche,déjà assez grande, contourna les ossements de ses membres fins et franchit la barrière de fleurs pour venir à la hauteur de son interlouctrice après que celle-ci ait parlé, sans la quitter du regard. Ainsi parla-t-elle en réponse à ces énigmes, aussi immature que réfléchie, mais elle était convaincue de ses mots.

- Vous vous bloquez parce que vous savez que vous aviez quelque chose avant. Mais c'est faux, il n'y avait rien, vous n'êtes qu'un nouveau-né dans ce monde, une orpheline. Il n'y avait rien avant, et comme tout le monde vous êtes dans l'incertitude du futur. Il faut vous y projeter, le choix sera le même que pour les autres, ne comptez pas sur un passé inexistant, il ne se révèlera jamais. C'est maintenant qu'il faut vivre, si vous le désirez. Ses paroles pouvaient être dures, et sans doute, elles l'étaient, mais c'était tout ce qu'elle avait à dire, et cela ne la perturba pas plus qu'un bonjour. Elle plongea ses naseaux duveteux dans un coquelicot et respira cette exhalaison fantasque. Ses yeux sourirent d'un plaisir discret; elle plia ses membres et s'allongea doucement sur ce lit rougeoyant d'une onctuosité incroyable, face à face avec le ciel.

Je la regardais froidement. Que pouvait-elle y comprendre ? Elle possédait un passé, elle avait déjà un peu d'expérience de la vie, elle savait ou aller, ou tout du moins n'avait pas peur d'aller découvrir l'inconnu. Quelles sont ces motivations ? Je secouais doucement la tête.

- Je ne pense pas que tu sois a ma place, ni que ta vie ressemble a tel point a la mienne que tu puisse comparer. J'aimerais avoir un futur, mais je ne veux pas l'avoir seule, hors pour le moment je suis seule, je ne veux pas avancer en solitaire, je voudrais pouvoir compter sur d'autres chevaux et pas toujours sur moi. Mais cette possibilité ne s'offre pas a moi. Alors oui, je recherche mon passé, je recherche les contacts de mon passé, les souvenirs de mon passé. J'avance dans le brouillard, je fais des rencontres d'un jour et ne revois plus jamais les équidés que j'ai rencontré. Je n'ai pas envie de cette envie, ni de continuer a avancer comme sa.

Lui répondis-je calmement, mon regard posé sur le coquelicot dont elle avait humé la fragrance.

Invité

L'infini du Grand Bleu la fascinait. Elle ne voyait que cela, le plafond onctueux et maternel; un sourire naquit sur ses lèvres brunes en réponse à cet élément perpétuel dont elle se faisait un maître de conversation. Les rares nuages, vifs et froids, serpentant dans ce Très-Haut, faisaient danser leurs ombres gracieuses dans ses iris. Sans doute écoutait-elle aussi sa compagne, bien qu'elle se soit sentie si proche, beaucoup plus proche du ciel.
En fait, Leeward ne répondit guère. De longues minutes passèrent dans le sublime brouillard d'un silence sacré. Un avant-goût d'hiver psalmodiait ses promesses sucrées dans l'air rude.

Il fallut longtemps pour qu'enfin la Terre, respirant le froid transitoire de l'Automne, inoculât à notre chère jeune jument un frisson tout naturel et agréable. Simplement, elle se mit sur le côté, se leva sans peine et quitta ce lit rouge de tendresse. Lentement les coquelicots se redressèrent, reprenant forme, un peu désabusés par leur précédente charge.

Alors ses yeux reprirent le chemin de ceux de la noire. Demi-sourire et regard sobre, usuel, ton de neutralité qui se fondait sur quelque chose de plus ambitieux, plus léger et plus subtil à la fond. Un ton en apparence univoque.

- Je ne vous parlais que de vous. Elle attendit un peu, promena ses yeux puis les reposa sur elle dans une réflexion légère. Enfin, de ceux qui comme vous cherchent dans le passé ce qu'il n'ont pas au moment présent. Longue pause. Puis les mot viennent. Qu'attendez-vous des autres pour qu'ils soient un essentiel à votre évolution ?

- Je ne sais pas ce qu'ils ont vraiment a m'apporter, ni si ils ont simplement quelque chose à m'apporter.

Répondis-je a Leeward, croisant son regard, y plongeant un instant le miens, avant de le détourner. Je m'avançais dans les coquelicots au chaperon rouge, dépassant la pouliche, j'avançais dans l'étendue ensanglantée par les pétales rougeoyants, leur faisant courber la tête sur mon passage. Mais derrière moi toujours ils se redressaient, fièrement, comme pour me provoquer. Encore quelques pas, je me retourne. Je la regarde. Que sait-elle ? Peut-être aime t-elle la solitude, surement, mais moi j'ai eue la chance durant quelques lunes de ne plus être seule, et même si les souvenirs, pourtant proches s'estompent, je sais que je n'ai pas envie de tirer un trait sur ces moments. Je sais que j'aimerais pouvoir les vivre a nouveau. Je sais qu'il faut que j'avance pour cela, mais je ne crois pas que quiconque ayant croisé ma route ait cherché a m'aider dans ce but.

» Avoir confiance en soi.
» Un glacier ne lui fait pas peur...
» J'aime à dire que je n'ai pas peur * Spirit'
» Au coeur de l'ombre
» Coeur de pierre

Arrache moi le coeur que je ne puisse plus avoir peur [L]

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