Freska... Un nom nouveau pour un être nouveau, ressurgissant plus fort et plus vivant que jamais. Je regarde les alentours distraitement. Les arbres et les nombreuses vignes qui composent le paysage sont splendides. L'air pur empli mes poumons à chaque respiration que je prends. Le temps est doux, beau. Je pose un sabot devant l'autre sans me presser. Ici, le stress n'est pas de coutûme. La simple idée d'explorer et de se promener paisiblement me procure un bien-être simple, mais réel. Ma crinière danse un peu dans le vent, puis se pose platement sur mon encolure blanche tachetée. Oui, tout est merveilleux ici. J'aurais aimé que Marco puisse jouir d'un havre réciproque au mien. On ne sait jamais, peut-être se retrouvera-t-il ici un jour... Pour l'instant, je me concentre sur mon propre corps. Je sens beaucoup mieux qu'avant. Le sol sous mes sabots, le vent qui caresse mon corps. L'odeur enivrante des oliviers qui poussaient sur l'immense terrain, créant quelques sentiers qui permettaient aux habitants de Life Horse de se frayer un passage. Le soleil plutôt hau dans le ciel, nous ne devions pas être loin de midi. Une odeur nouvelle me parvient. Je m'arrête sur-le-champ. En humant ce nouveau parfum, j'en déduis que c'est une jument. Je ne tarde pas à l'apercevoir à une quizaine de mètres plus loin, près d'un olivier, couchée. J'hésite, reste sur place, fais un pas, recule de deux. Puis je me décide. Cette inconnue ne pouvait pas forcément être méchante, et peut-être a-t-elle besoin d'aide. Il est rare qu'un cheval se couche en plein jour, après tout. Je m'approche lentement, puis j'hennis amicalement pour lui signaler ma présence. À trois mètres d'elle, je m'arrête. Je la salue d'un petit geste de la tête et j'attends qu'elle m'indique si j'ai bien fait ou non.

Je regarde la jument se lever presque aussitôt après que je l'ai avertie de ma présence. La robe sale par la terre où elle s'était étendue, ses yeux brillants d'un éclat vif mais encore mélancolique, alors qu'elle esquisse une légère révérence en ma dirrection. Ses grands yeux bruns un peu ternes se posent sur moi et me balayent d'un regard amical et légèrement espérant, peut-être. S'il m'en était possible, un sourire bienveillant serait peint sur mes lèvres.

- Bonjour à vous! Belle journée n'est-ce-pas?

Ces paroles dites sur un ton social mais prudent. Comme moi, cette jument reste incertaine et sur ses gardes, puis-je dire. L'arabe blanche était un peu plus grande que moi, faite beaucoup plus élancée. Si elle marche, son élégance évoquera peut-être l'image qu'elle flotte sur le sol, tellement elle semble légère. Je suis plus petite qu'elle de deux ou trois centimètres environ au garrot, mes membres sont davantage forts et mon corps est plus massif. Je suis faite pour résister aux dures intempéries comme les hivers, les plaines, le vent fort. Cette jument doit plutôt résistante à la chaleur cuisante des déserts, elle doit probablement être vite et endurante aussi, capable de ne pas boire plus longtemps que moi-même. Mais bon, il faut que je donne une réponse, naturellement.

- En effet, une journée merveilleuse. Je m'appelle Freska, et vous?

[Freska est une jument LOL]

Déjà, la jument semble s'être détendue. J'en suis ravie. Je n'aime pas faire face aux personnes qui semblent constamment inquiètes pour un rien. J'en profite également pour débloquer mes membres raides comme des poteaux. Je ne sais pas pourquoi ils l'étaient il y a à peine deux secondes, au fait. Peut-être était-ce parce que je n'avais pas beaucoup d'expérience en matière de contact avec des chevaux... L'arabe paraît gentille, mais il faut toujours se méfier un peu.

- Moon Pearl, enchantée de vous rencontrer Freska ! Vous venez d'ici?

Là, j'hésite. Je ne sais pas trop si je dois lui avouer que j'étais humaine il y a encore à peine une semaine seulement. À ce qu'il paraît, les chevaux originels ne sont pas supers contents que des humains transformés en cheval débarquent sur les terres de Life Horse. Pourquoi? Je ne sais pas. Cette jument blanche est-elle une jument à cent pour cent? Je ne peux vraiment pas le deviner. Cependant, elle semble gentille et amicale. J'imagine qu'elle ne me sauterait pas dessus si je lui dit la vérité. Pour ou contre. Pour ou contre. J'opte finalement pour lui révéler que j'ai déjà était une bipède. Et puis, pourquoi elle ne l'aurait-elle pas été aussi?

- Je viens de la planète Terre. J'étais encore humaine il y a à peine une semaine. À ce que j'ai compris, je suis atterris dans un espèce un monde parallèle ou quelque chose du genre.

Bon, il faut dire que je suis nerveuse. De savoir si Moon Pearl va me juger, ça m'énerve. Je sens une boule de stress monter au niveau de mon estomac. En secouant la tête de droite à gauche, je n'attends pas longtemps avant d'avoir la réponse de mon interlocutrice. Cette dernière est une jument bavarde. Elle parle beaucoup, même si ça ne fait que cinq minutes que je la connais. Je surpris chez elle une énergie nouvelle, qui n'est repérable que dans ses yeux. Ses yeux ont des étincelles beaucoup plus brillantes d'intelligence, avec une présence plus forte. Un instant, je peux apercevoir l'ombre de qui elle a été dans sa vie passée il y a quelques mois, une jeune fille heureuse, remplie de joie. La peine assombre un instant ses prunelles d'un brun chocolat, pour s'estomper machinalement. Surprise et remplie de compassion, je laisse passer un hennissement rassurant et compréhensif.

-Je sais ce que c'est que ce que vous avez ressenti. Cela doit faire plusieurs mois pour moi, mais je suis aussi une ancienne humaine, connue sous le nom de Lena Parrs.

Ah. Finalement elle a été humaine elle aussi, évidemment. Lena Parrs... Ce nom me dit quelque chose, mais je ne sais pas pourquoi il m'est familié. Je me mets à chercher dans ma tête, faisant défiler des visages que je côtoyaient avant. Puis, un visage d'une jeune fille me frappa. C'est Lena Parrs. Elle a déjà été dans ma classe de deuxième année, puis elle a changée d'école, pour ne revenir qu'en secondaire un. Je l'ai vu de loin et je lui ai parlé de temps en temps, on a même fait un travail ensemble une fois. Mon regard s'illumine.

- Lena Parrs! On se connait! Je t'ai eue en deuxième année du primaire et en troisième année du secondaire. On a déjà fait un travail ensemble. Je t'ai parlé quelques fois, même si on ne s'est jamais vraiment connues. Tu te souviens de moi? Mikaëlla Favreau... Au fait, si on marchait un peu? Ça m'agace de rester plantée là.

Sur ce, je me mets à marcher, pas trop rapidement, pour qu'elle me suive. Le soleil plombant sur ma robe me fit sourire intérieurement. J'adore la sensation des rayons de soleil me chauffant le corps. J'ai toujours aimé l'été, plus que l'hiver. Se baigner, marcher sur le bord de la plage...

Mon ancienne connaissance m'emboîte le pas, la tête plus haute. Dans son regard, brille encore la flamme de l'esprit de l'humaine qu'elle a été, tout comme moi d'ailleurs, j'imagine. Lorsqu'elle parle, une trace de sa voix humaine résonnne en écho derrière la voix du corps de la jument. Ainsi, on est deux à habiter un corps commun. Parfois, lorsque les sentiments sont trop forts ou trop "humains" pour les chevaux, l'âme de l'homme réapparaît en arrière plan. Lena Parrs n'a jamais été une fille qui se tenait avec beaucoup de monde, à ce que je me souviens. Réservée, autonome et à son affaire, elle était brillante. Certaines des garces à l'école ne l'appréciaient pas, mais moi, je n'avais jamais eu une dent contre elle. Je n'avais pas de raison en fait.

- Mikaëlla Favreau ! Oui, une des rares à ne pas me juger à cause de mes facilités et après la perte de... enfin de mon cheval... je t'ai perdu de vue ensuite quand je me suis plongée dans les études et que j'ai été associable. Je ne m'attendais pas à te revoir, c'est une agréable surprise !

À qui elle le dit! Cela me fait chaud au coeur de connaître quelqu'un que j'ai déjà connu sur ces terres. Je me sens un peu moins perdue, à la dérive. L'odeur parfumée que dégagent les oliviers me parvient aux naseaux. Un parfum riche et doux, avec une trace de nature. Cet endroit est vraiment paradisiaque! Je ne parle pas pendant quelques minutes. Je n'ai jamais été une grande bavarde moi-même, le silence ne me déplaît pas. Je me contente de marcher tranquillement, en paix avec ce nouveau monde. Je me demande pourquoi Lena Parrs a atteri ici comme moi. Sa situation a-t-elle été aussi dramatique que la mienne? Curieuse, je lui demande.

- Au fait, comment ça c'est passé pour toi? Comment t'es-tu retrouvée ici?

- Je ne sais pas si tu t'en souviens, mais il y avait un cheval que j'aimais beaucoup dans le centre où je montais, un petit arabe croisé poney français de selle nommé Démon, un vrai diable avec un coeur d'or. Je devais l'avoir en DP quand je te connaissais. Quelques temps après... une stupide fille a déchiré pour de bon le bonheur que je vivais avec lui, que ce soit en compétition ou à l'écurie.

Rhôô là là, elle n'est pas chanceuse la pauvre... Je la regarde avec un air compatissant. J'ai toujours été de nature solidaire, il faut dire. Moon Pearl frappe rageusement le sol de son antérieur droit, créant une marque profonde dans la terre humide, la réplique parfaite de son sabot. Instinctivement, je réagis face à pareil colère. Me sentant agressée, je fait un bon de côté de deux mètres et lève la tête très haute. Je n'aime pas la violence. Méfiante, je reste où je suis. Cette colère soudaine ne me plaît pas. En regardant d'un oeil quelque peu refroidi Moon Pearl, je la sens se concentrer pour se calmer. La tension qui émane d'elle se dissipe après une vingtaine de secondes. J'en fais de même, mais garde mes distances. On est jamais trop sûr. Le corps de la jument appaloosa dans lequel j'ai pris possession réagi avant que je n'ai le temps de penser. Il faudra m'y habituer. Ce n'est pas un côté tout à fait mal, quand même. Ces réactions innés et rapides me sauvront peut-être la vie un de ces quatre. Mais pour l'instant, tâchons de retrouver notre paisibilité. Je ronfle bruyamment des naseaux nerveusement, puis me remet en marche. Je basse mon museau pour me gratter l'antérieur. Après une minute de silence mal à l'aise, je rajoute.

- Oui, je pense me rappeler que tu m'a déjà parlé de Démon. Je suis désolé qu'il lui est arrivé quelque chose, poursuis-je avec plus de douceur.

Je l'écoute s'excuser. Une excuse brève, mais sincère. Cela me fait sourire, le visage de l'âme cachée que je suis, moi, Mikaëlla. Bien sûr, sourire pour un cheval est défier la logique. Mais en tant qu'humaine, c'est possible, même s'il ne se voit pas.

- Excuse, mais je n'arrive pas à oublier.

J'hennis doucement en signe de compréhension. La perte d'un être cher est quelque chose de difficilement oubliable. Je sens le regard de Moon Pearl se poser sur moi à nouveau, une ombre de tristesse voilant ses grands yeux noisettes. Je l'encourage à continuer d'un léger mouvement de tête. J'aime savoir la vérité au fond des choses. De toute façon, cela l'aidera, j'en suis convaincue. Je fouette l'air de ma queue aux crins blonds platine. Aussi pâles que la lumière du clair de lune.

- Fracture de l'antérieur gauche et hémorragie externe violente. Le véto l'a piqué, Démon est mort dans mes bras. Depuis ce jour, je n'ai plus jamais été la même. J'ai dédaigné mes rares amies, arrêté l'équitation, concentré sur mes études et fais quelques recherches personnelles sur les mystérieuses disparitions, pour retrouver la trace de Mélanie une amie d'enfance et m'occuper la tête loin du deuil. Puis un jour... j'ai fais un malaise dans ma chambre et je me suis retrouvée dans ce monde... sous cette forme... féminisée de Démon.
-Cruelle ironie du sort, hein ? Et toi ? Comment es-tu arrivée là ?, poursuit-elle.

J'étouffe un soupire. Parler de moi n'est pas quelque chose que j'aime faire. Je n'ai jamais apprécié évoquer ma vie. Souffir en silence, vivre sa vie sans le regard de personne posé sur sa personne... Mais bon, Moon Pearl avait vécu des choses difficiles, alors autant bien lui révéler, brièvement, mon ancienne vie. C'est donnant donnant. Je fixe mon regard sur l'horizon lointaine, évitant soigneusement son regard perçant. En effet, quelle ironie! Atterrir dans un nouveau monde pour rencontrer d'anciennes connaissances, pour parler du passé. Démoralisant. Je commence donc mon résumé.

- Ma mère et mon père se sont séparés quand j'avais sept ans. Mon père a vécu seul et avec nous une semaine sur deux pendant cinq ans. Il a rencontré une femme, Leslie, et en est tombé amoureux... Elle a emménagé, elle et ses deux enfants, avec nous. Dan est un gros abrutit qui ne fait absolument rien de sa vie, je te le jure. Je suis sûre qu'il n'a pas de cerveau, ou alors une neuronne, qui décrépit à cause de la sollitude. L'autre, Rebecca, est une vraie petite peste qui se pense au-dessus de tout le monde. Bref, Leslie s'est arrangée pour que mon père nous tourne le dos. Elle faisaitt la femme parfaite qui s'intéresse à nous lorsqu'il était là, et sitôt qu'il était à son travail, elle nous filait toujours un mauvais quart d'heure. Lorsque moi et mon frère étions à la maison tandis que notre père était absent, nous étions toujours cloîtrés dans notre chambre. À peine si on avait le droit d'aller à la toilette, quoi. C'était vraiment l'enfer. Bref, la veille de ma "transformation", j'ai décidé que j'en avais assez et j'ai fait envoyé promené la belle-mère. Je me suis faite passée un savon par elle et par mon père, sous les regards moqueurs de l'abrutit et de la petite peste. Mon frère s'est rangé de mon côté, mais pas mon père, évidemment. Il s'était bien trop entiché de Leslie... Je ne le reconnaissais plus. Il était différent... Il n'était que l'ombre de l'homme que j'avais vu comme mon père. Il n'était plus mon père. J'ai décidée de fuguer pendant la nuit, c'est là que je suis arrivée à Life Horse. Des voix m'ont parlé qu'une jument appaloosa était morte suite à un violent et tragique accident en ville. Elle était un cheval de cariole, mais un auto à passé trop proche d'elle et elle a pris peur. Elle est partie comme une furie et elle s'est fait frappée. Le vétérinaire a dû l'euthanasier. Ces voix me dirent qu'elle méritait une seconde chance comme moi, et qu'ils fusionnaient nous deux âmes dans son corps. Puis après, je me suis réveillée.

Je ne dis plus rien. Je suis perdue dans mes songes. Je suis nostalgique.

- T'as eu une vie pire que moi, je m'en doutais pas quand on était dans la même classe, je te trouve drôlement courageuse, tu sais. Dis toi que maintenant c'est une chance pour toi, tu peux désormais évoluer comme tu le sens, loin de ces chaines qui te retenaient et te blessaient.

Je ne réponds rien. C'est sûr que personne n'en a rien su. J'y ai veillé au grain, comme on dit. Aucune personne, pas un adulte, pas un camarade de classe, personne n'a rien compris. Ça a été le but depuis le départ. Je n'ai vraiment pas eu l'envie que quelqu'un se mêle de mes problèmes. J'aime les régler seule et leur faire face seule. Même si je sais qu'il est plus facile d'y regarder à plusieurs, personne ne peut décider ce que je ferais de ma vie. J'ai un vague haussement d'épaule. Je suis muette comme une carpe, me contente d'avancer. Les bruits des gazouillements d'oiseaux m'appaisent et me permette de faire le vide de ma tête. Si ma première vie a été gâchée, je ne gâcherai pas la deuxième. Je m'arrête pour broutter quelques brins d'herbe. La nourriture humaine me manque, comme la pizza ou les fajitas, mais il est inconcevable qu'il y en ait ici. Les seuls choses commestibles dont je dispose à présent sont les éléments végétatifs de la nature, et l'eau. On oublie les suçons ou encore le pop-corn. De toute façon, il est risible de penser qu'un cheval peut réussir à créer une pizza. Nous n'avons pas de doigts pour faire ça, après tout.

- J'ai pas le même mérite que toi, je la mérite pas cette deuxième vie. Pas après l'égoisme dans lequel que je me suis enfermée après la mort de Démon, renfermé sur mon chagrin. Des fois je me demande si je ferais pas mieux d'en finir, je blesserais pas les gens au moins.

Je relève la tête pour regarder Moon Pearl, étonné, puis je me baisse encore une fois pour broutter. La jument blanche veut probablement du réconfort et elle veut probablement entre des paroles du genre "non, tu mérites de vivre, toi aussi tu as été choisie pour cette vie. Tu es une jument et une fille formidable, ne pense plus jamais à te tuer." Mais je n'en ai pas la force. Après tout, c'est elle qui doit savoir. Elle a subit un drame, certes, mais de là à s'ôter la vie... Je finis par murmurer.

- Tu t'attends probablement à ce que je sois réprobatrice, et je le suis évidemment. Mais ça, c'est une décision qui te regarde.

Je n'ajoute rien. Il n'y a rien à rajouter. Je ne suis pas d'humeur à faire de la thérapie et à être dépressive. Le soleil plombe un peu plus durement sur mon poils, rendant les taches noires brunes foncées. Comme s'il me soutient, il semble dire qu'il n'y a pas que les mauvais côtés de la vie. Il faut savoir savourer les moments heureux, sinon autant aller dans son trou tout de suite.

- J'y réfléchirais sérieusement. Tu as raison, c'est une décision qui me regarde, et je crois que je l'ai déjà prise.

Tout ça dit sur un ton un peu trop... déçu. Cependant, je ne peux pas grand chose. J'ai certainement raison. C'est sa décision. Elle aurait peut-être aimé que je la supplie qu'elle vaut mieux que ça et qu'elle a le droit de vivre, mais j'en suis incapable. Je suis faible, pas forte, moi. Et ça, c'est trop me demander. La vie vaut la peine d'être vécue, peu importe le prix qu'on a dû payer avant d'atteindre une quelconque forme de bonheur. Mais alors, nous devons en profiter. Si vous voulez gâcher cet ultime partie de plaisir, alors je ne peux pas vous retenir. Mais quelle erreur vous ferez! Moon Pearl s'éloigne et s'approche de buissons d'ifs. Ces petits connifères à l'espérance de vie très longue, et incroyablement toxiques. A-t-elle l'intention de mettre fin à ses jours en s'empoisonnant? Vu d'ici, je dirais que oui. En soupirant, je la laisse faire. La rencontre de quelqu'un qu'elle a déjà connue ne lui suffit pas pour laisser un peu de bonheur l'atteindre? Quel dommage. Toutefois, elle finit par revenir vers moi. Je ne le regarde pas tout de suite. Moon Pearl est du genre hypersensible, tout comme moi, à vrai dire. Elle a un masque, même s'il n'est qu'une carapace. Peut-être que finalement, j'essaierai de le lui faire enlever plus tard. Plus tard.

- C'est très beau ici, tu ne trouves pas ?

Un ton faussement heureux et banal. En haussant les épaules, je continue de marcher. Le ciel bleu azuré me fait sourire. Pourquoi pas? Je ne permettrai pas que les sujets retombent noirs aujourd'hui. Même si elle ment, ça m'est égal. Même si elle ne pense pas ce qu'elle dit réellement, ça ne me traquassera pas. En autant qu'elle parle du bon côté de la vie, ça fera mon bonheur.

- Je réponds par l'affirmation. Je pense que je vais goûter à une feuille d'olivier et à une olive de même.

- Moi je me contenterais de cette délicieuse herbe verte et tendre ! Mais cela dit, il est vrai que ces olives sont tentantes !

Je lui adresse un simple regard heureux. La jument arabe blanche est devenue paisible, sereine. Comme moi-même. Je la suis vers un olivier. Personnellement, je n'ai jamais raffollé des olives. Mais ici, tout était plus pur, et la nourriture autre que l'herbe me manquait. Pourquoi pas après tout? De toute façon, je n'ai à perdre. Je m'approche de l'arbre et le rennifle. Je saisis entre mes dents une feuille et tire délicatement. La feuille se détache avec petit craquement. Je me mets à la machouiller pensivement. Ce n'est pas le meilleur plat en ville, mais c'est différent du gazon. Ce n'est pas mauvais non plus. Je m'empare d'une olive avec précaution. La saveur ne me plaît pas forcément. Je secoue la tête. Le goût amer, salé et sucré me fait faire la moue. Pourtant, l'olive des terres de Life Horse a un goût bien plus savoureux que les olives de la terre. Mais je n'en prendrai pas une autre, c'est certain. Pas aujourd'hui, en tout cas. Je sens la présence tranquille de Moon Pearl à mes côtés, qui broute à l'ombre. Ma partie humaine sourit, je me sens bien. J'ai le goût cependant de visiter d'autres terres, après tout. Cet endroit est vraiment paradisiaque, mais il est temps pour moi d'explorer d'autres recoins. Je reste encore un peu, broutant près de la belle arabe. Après quelques instants de silence rassurant, je relève la tête et laisse tomber.

-Et bien, ça a été un plaisir de te rencontrer, Moon Pearl - Lena. Je vais y aller, voir d'autres terres de ce nouveau monde pour moi. à un de ces jours, j'imagine!

Ce ne sont pas des adieux, qu'un au-revoir. Il y a de grandes chances que nous nous reverrons bientôt. De toute façon, je ne l'oublierai pas. Elle deviendra probablement une bonne amie à longue date, j'ai confiance.