Partageait-il cet intérêt étrange pour les étoiles ? Ce paradoxe qui nous pousse à vouloir nous en rapprocher alors que nous savons que jamais nous ne pourrons les atteindre. Un besoin d'atteindre l’inaccessible peut-être ? Une recherche de ce que l'on ne pourra jamais toucher, le désir d'en avoir toujours plus. Le désir de toucher les étoiles, tout simplement.
L'étalon se rapprocha de la jument. Un étrange désir de fuite s'empara d'elle, mais elle ne broncha pas quand l'animal nimbé d'argent vint poser son museau contre son encolure, soufflant son souffle chaud dans son poil froid. Imperceptiblement, elle se raidit. Plusieurs minutes qui lui parurent interminables s’écoulèrent. Un autre cheval aurait surement été flatté par ce geste, mais elle, ce geste l'avait effrayée. Peut-être était-ce de l'inconnu qu'elle avait peur ? Peut-être était-ce de ce contact physique avec un inconnu ? Il serait difficile d'expliquer ce qui se passait dans sa tête en ce moment. Peut-être elle-même ne le savait-elle pas. Un mélange d'un profond soulagement et d'une étrange impression de vide l'envahit tandis qu'il reculait. Un intense sentiment de froid vint lui mordre la peau, là ou l'étalon avait réchauffé son pelage. Mais le soulagement l'emporta et elle eut de la peine à retenir un soupir soulagé. S'interdisant de penser à ce qui venait d'arriver elle focalisa son esprit sur les paroles de l'inconnu.
- Je ne suis pas d'accord. Les ombres sont froides, les ombres ne ressentent rien, les ombres...
- Quel est ton nom ?
Elle garda le silence, elle aurait du se douter qu'il finirait par le lui demander.
- Une ombre est vide. Dépourvue de matière. Nous nous ressemblons au moins sur ce point, elles et moi. Les ombres traversent la vie sans rien ressentir, tels des êtres désincarnés. Ce sont des coquilles vides, qui ne possèdent même plus la solidité d'une coquille. Un coup de vent, semblerait-il, suffirait à les balayer.
Elle leva ses yeux noirs vers lui. Le laissant méditer ses paroles, mais changeant de tactique, elle reprit la parole et lui demanda innocemment
- Et vous, quel est vôtre nom ?

Il semblait désappointé. Elle ne lui avait pas répondu, était-ce la raison de son désarroi ? Toujours beaucoup de questions et jamais de réponses, non elle pouvait répondre à cette question. Eut-il compris qu'aurait-il dit ? Il l'aurait plainte peut-être ? Elle n'aimait pas la pitié, surtout de la part des autres.
- Appelle moi juste Elwing.
Elle hocha la tête en entendant son nom. Il sonnait agréablement, et lui seyait parfaitement.
- Tu est vexé que je n'ai pas répondu à ta question ?
Lui demanda t-elle, le tutoyant pour la première fois. Il n'était pas sage de le lui demander, remettre la question de son nom sur le tapis n'était pas une bonne idée, mais la réaction de l'étalon l'avait troublée. Elle l'avait suivie du regard tandis qu'il effleurait le sol de pierre du bout de son museau comme un enfant découvrant une nouvelle matière. Il avait hésité avant de lui donner son nom, elle l'avait sentit, mais n'avait rien dit. Qu'avait-elle à dire ? Elle ne lui avait même pas donné le sien. Un jour il faudrait qu'elle prenne les devant et règle ce "petit problème" qu'elle avait avec son nom, mais il lui manquait des ingrédients essentiels pour réussir à franchir le pas. Des ingrédients qu'elle avait eue en main, qu'elle avait touchée, effleurée, mais qui avaient disparus avant qu'elle ne comprenne comment les utiliser. Ils étaient bien présents dans ses souvenirs, pourtant ils finissaient par s'effacer comme tout le reste. Et maintenant elle devait repartir à la recherche de ces ingrédients. Encore une fois.

Elwing plongea son regard trouble dans celui de la jument. Un frisson la parcourut, une désagréable sensation, comme si elle allait se perdre dans ce regard et tomber... Tomber... Elle détourna les yeux. Bien qu'elle considérât ce geste comme un signe de faiblesse elle ne voulait pas continuer à soutenir ce regard.
-Non.
Une réponse sèche. Elle pointa ses petites oreilles dans sa direction, intriguée par la dureté de sa réponse. Pourquoi réagissait-il ainsi ? Le petit cheval noir se retint de secouer la tête, geste qu'elle faisait habituellement pour essayer de remettre ses idées en place lorsqu'elle ne comprenait pas quelque chose.
-Étais-tu humaine avant ?
Sa voix avait changée. La jument le regarda interloquée. Elle fronça légèrement ses sourcils. Quelle était cette question ? Pourquoi semblait-elle si importante pour l'étalon gris ? Pourquoi sa voix avait-elle autant changé en si peu de temps ? Les questions se bousculaient dans sa tête et le jeune cheval noir et blanc dut se concentrer un long moment sur le bout de ses petits sabots ronds pour pouvoir calmer son esprit curieux et offrir à l'étalon la seule réponse qu'elle pouvait lui donner... Mais qui n'étais surement pas celle qu'il semblait attendre.
- Non
Elle lui avait répondu d'une voix calme et assurée. Elle releva la tête, des crins étaient tombés sur ses yeux et glissèrent le long de sa joue après qu'un souffle d'air froid les aient soulevés et déplacés. Elle fouillait sa mémoire, laissant son regard devenir trouble sous l'effet de la concentration. Il lui semblait avoir déjà entendu parler de chevaux ayant été humains mais elle n'avait jamais vraiment prêté attention à ses histoires irrationnelles. Comment un bipède pouvait-il devenir un équidé ? Cela lui semblait absurde. Mais alors pourquoi Elwing avait-il posé cette question ? Savait-il quelque chose à ce sujet ? L'idée d'une telle transformation lui semblait si absurde qu'à aucun instant ne lui effleura l'esprit l'idée que le bel étalon gris ait pu un jour être humain...
- Mais j'ai entendu des conversations dans lesquelles il était question d'anciens humains devenus des équidés...