« Ils ne savent pas ce qu'on pense d'eux en bas ; ils ne savent pas qu'ici c'est nous les rois. »

Roméo découvrait un environnement inconnu. Inconnu mais à la fois terriblement familier. Familier, parce qu'il marchait au milieu de ruines. Des ruines d'habitations. D'habitations humaines. Alors, les humains auraient vécu ici ?! Il n'en savait rien. Il ne savait rien, rien du tout. Mais cela l'intriguait. Il flânait, entre les murs délabrés. Il entrait même parfois, recherchant entre les parois affaissées et menaçantes quelques souvenirs, quelques habitudes. Il se revoyait, avancer entre de pareils murs. Courir dans les escaliers quand il était enfant. Il avança dans un long couloir. Au-dessus de sa tête, il n'y avait plus de toit et le soleil éclairait les moindres recoins de l'allée, mais il se plaisait à croire qu'autrefois, il y en avait un. Il se plaisait à croire qu'autrefois, d'autres avaient vécu ici. Que ces murs avaient connu l'amour, la haine. Il baissa la tête. Subitement abattu, il sortit au grand air et ferma les yeux. Les souvenirs revenaient. Les fuites, les rires, l'amour, la haine. Les batailles, les caresses, les ... C'est là qu'il entendit un bruit, qui le sortit entièrement de ses pensées. Il en fut soulagé ; il n'aimait pas beaucoup se replonger dans des souvenirs humains, et surtout, révolus et ce à jamais. Il chercha du regard la silhouette, la présence, l'être, qui lui avait donné cette délivrance, un doux sourire rêveur et distrait posé sur ses lèvres noires.

Si l'étalon commençait à disparaître dans l'obscurité, la jument, elle, restait bien apparente avec sa robe pâle. Il l'entendit à peine bouger, mais la suivit des yeux. Quand elle se plaça dans son sens, il prit cela pour une proposition de marche et commença donc à marcher, l'invitant tout de même d'un signe de tête amical. Il commença à marcher, observant les lieux qui, de nuit, devenaient plus effrayants. Inconnus. Étrangers.

Immobile. Figé. Roméo ne pouvait plus bouger, comme si son sang s'était figé dans ses veines. Un rayon de lune pénétra le toit détruit de la ruine et éclaira l'intrus une fraction de seconde... qui suffirent à l'étalon à voir ce que c'était. Un loup, grand, et plus haut qu'un chien comme il en avait l'habitude chez lui. A l'aspect féroce, une lueur de rage et de faim dans le regard, une assurance déconcertante s'échappant de son allure fière. Il était sûr de lui. Il savait qu'il pouvait gagner cette bataille. Ce qui n'était pas, mais alors pas du tout, le cas de Roméo. Discrètement, il tourna sa tête vers la jument sans lâcher des yeux l'animal qui se tapissait dans le noir. Sur ses lèvres, il murmura « Que fait-on ? » ne voulant pas parler à voix haute, comme si cela pouvait déclencher la bataille.