Je suis déjà venue ici auparavant. Un endroit enchanteur, verdoyant, coloré. Calme et heureux. J'avance avec sérénité. Je sens l'air fraît me caresser le poils. Le temps s'est refroidit depuis sa dernière visite. À peine si les olives n'ont pas commencé à geler. Mais peut-être sur ces terres sont-elles plus résistantes, car à la première vue, elles ont l'air rayonnantes de santé et encore juteuses. Je souris. Devant moi, une jument grise pommelé marche. Elle ne me voit pas, trop occupée à sa propre besogne. Avec l'ombre d'un sourire, je la suit à la même distance à laquelle je me trouve maintenant. Elle s'approche soudain d'un arbre et en fait tomber les offrandes. On dirait que ça l'amuse, puisqu'elle recommence. Amusée mais réprobatrice en même temps, je la laisse faire encore un peu, avant de m'avancer et d'imposer ma présence. En secouant ma belle tête d'appaloosa, je lui dis gentiment.

- Ne trouves-tu pas qu'il est dommage d'éparpiller ces olives à terre? Si tu les avais laissées dans la vigne, elles auraient probablement pris encore plus de volume et seraient encore plus succulentes. J'imagine que tu n'as pas l'intention de toutes les manger pour ne pas faire de gaspillage, j'imagine?

Tout ça dit d'un côté doux, sympathique et un peu plus autoritaire. Je n'aime pas le gâchis, moi. En attendant la réponse de la jument arabe grise pommelée, un peu plus haute que moi-même, comme Moon Pearl, je regarde le ciel, bleu mais nuageux.

La voix de l'autre équidé se fait entendre à mes oreilles. Intéressée, je la regarde qui arrête immédiatement son passe-temps. Le regard lancé par sa paire d'yeux enfantins est ébahi, j'en ris. Je ne ris pas de la jument en tant que tel, mais ce regard, comme un enfant de cinq ans qu'on aurait grondé... Elle s'explique, donnant une excuse piètre pour ses actes, mais compréhensible. Je souris un peu plus. Cette jeune jument, peut-être un peu plus, semblait agir avant d'avoir réfléchi. Amusant.

- Ce n'est pas un gros drame que tu as fait après tout, je t'aiderai à en manger quelques unes moi aussi. De toute façon, on a tous nous moments où l'on aime l'immaturité.

Je détaille Crazy Light, une version de Moon Light, seulement la robe n'est pas de la même couleur. Un gris pommelé, robe jolie, avec ces petits cercles gris pâles se fondant sur un fond gris plus foncé. Sa longue crinière noire est emmêlée par les vagues de vent qui fouettent nos corps. Je m'approche des olives et en saisis trois dans ma bouche pour les manger. C'est rafraîchissant il faut dire, le goût que je n'aime pas persiste encore dans ma bouche, mais je m'y habitue. Ma queue fouette les mouches qui tournent autour de moi. Ça, c'est vraiment l'inconvénient. En tant qu'humain, on peut mettre du chasse-moustiques pour se protéger contre les piqûres d'insectes, mais ici, il n'y a pas de remèdes mirâcles contre les insectes. Dommage.

Comme je m'y attends, la belle grise pommelée m'imite. Je ne la regarde pas forcément, me concentrant sur ma besogne. Après tout, ces olives, bien qu'un met assez rare pour les chevaux, ne sont pas totalement ignobles. À vrai dire, je commence à m'habituer à leur goût amer, sucré et doux. J'en prends d'autre, rapidement, l'herbe se vide de ces petites billes rondes et molles. Je n'aurai sûrement pas besoin de manger avant un bout. L'étrangère me révèle alors son âge. Cinq ans. Jeune jument, en âge humain, c'est approximativement dix-sept ans, presque adulte. Cependant, en terme d'existence, je suis plus vielle qu'elle d'onze ans, c'est pourquoi je suis plus mature. En haussant les épaules, je prends quelques autres fruits dans ma bouche et les mâche avec appliquation. La jument arabe me donne alors son nom. Crazy Light. Un nom joli, qui correspond bien avec sa personnalité, si je ne m'abuse. J'esquisse un sourire simple et ne répond pas tout de suite. J'aime le silence. La dénommée Crazy Light frisonne à nouveau sous le contact de l'air. Je me déplace de manière à me retrouver derrière l'olivier, l'incitant à me suivre. Ainsi, nous sommes coupées du vent, les oliviers nous servant de barrière naturelle. Je regarde les branches imposantes de l'arbre fruitier, avec ses feuilles vertes limes. Finalement, je me retourne vers mon interlocutrice et je me présente brièvement.

- Je suis Freska, et je suis nouvelle sur ces terres. J'ai quattre ans.

Je remarque que Crazy Light me sourit de manière plus adulte maintenant. Comme je m'y suis attendue, elle a seulement laissé de côté sa maturité pour lâcher son fou tout à l'heure. La plupart des personnes que j'ai connues en tant qu'humaine n'étaient pas tout le temps mature. Cela exclue cependant mon frère. En pensant à lui, je sens mon coeur se serrer. Il me manque. Je le chasse de mon esprit et me concentre sur l'autre.