Un grand lac, aux eaux turquoise, brillait de mille feux sous le soleil de midi. Sa surface ondulait nonchalamment sous la caresse du vent, créant de petites ondes liquides qui venaient se briser sur le rivage. La végétation jouxtant cette magnifique étendue d’eau était luxuriante. Les arbres arboraient des feuilles d’un vert émeraude, et l’herbe était moelleuse et douce. Les oiseaux chantaient dans les branchages, épris de joie et de liberté. Un ciel sans nuage, où trônait un soleil resplendissant, veillait sur ce paradis terrestre, véritable jardin d’éden descendu sur Terre. Un équidé émergea des fourrés, avançant d’un pas tranquille. Il possédait une robe brune, qui prit des reflets ocre et mordorés sous la lumière du soleil. Ses yeux étaient sombres et profonds comme un puits sans fond, et ses crins tout aussi noirs qu’une nuit sans lune. Grand et fin, on devinait en lui une vie sauvage bien ancrée. Son visage aux traits émaciés laissait supposer qu’il avait enduré des épreuves qu’on ne souhaite à personne. Cruelles embûches de la vie semées sur son chemin, qu’il avait évité non sans mal.

L’étalon s’approcha du lac, humant le doux parfum des fleurs. Les senteurs sucrées des végétaux l’apaisèrent comme un baume sur son cœur, et il se sentit renaître. Assoiffé, il plongea son museau dans l’eau fraîche, et entreprit d’étancher sa soif. Quelques secondes plus tard, le mâle releva la tête, les naseaux dégoulinants, et balaya les alentours du regard. L’endroit était tranquille, désert. Il poussa un soupir de satisfaction, exactement ce dont il avait besoin. Un endroit calme et paisible pour poursuivre son chemin de solitaire. Bien que cet endroit soit magnifique, l’étalon le trouvait un brin ennuyeux. Pas de dangers, pas de froid, pas de douleur. Rien que le bonheur. L’atmosphère l’écœurait presque. Toutefois, il était harassé de fatigue, et se laissa tomber sur le matelas d’herbe douce. Epuisé, il ferma les yeux et fut happé par le sommeil.

Ce fut une odeur étrangère qui le réveilla, et le ramena du tréfonds du royaume des rêves. L’étalon cligna des paupières, le temps que ses yeux se réhabituent à la lumière du jour. A sa gauche, un étalon tacheté approchait. Le mâle brun se releva et garda ses yeux rivés sur cet inconnu qui avançait. Ami ? Ennemi ? Il n’allait pas tarder à le savoir…

Un silence glacial était tombé sur le lac, et ses eaux turquoise semblaient avoir pris une teinte grisâtre. Le ciel lui-même s’était assombri quelques peu, tandis qu’un vent frais souffla violemment sur la végétation, ébouriffant les crinières revêches des deux mâles. Le brun restait de marbre, observant avec neutralité cet inconnu qui approchait de lui à pas lents. Le nouvel arrivant était trapu et musclé, carrure typique d’une race sauvage depuis des millénaires. Ses yeux étaient noirs comme les ténèbres, et tout en lui imposait le respect et une once de curiosité. L’étalon brun laissa s’approcher cet équidé et le dévisagea une dernière fois avant de prendre la parole.

« Dragon Emperor. »

Lâcha-t-il simplement. Son nom. L’empereur Dragon. Un nom qui hantait ses origines depuis la nuit des temps. Un nom qui avait réduit sa vie en une série de souffrances injustifiées. Un nom qui avait fait de lui ce qu’il était aujourd’hui. On le croyait maudit, et on le fuyait comme la peste. On le menaçait, on le chassait. Il était sans attaches, reniés par les siens, condamné à errer seul sur cette triste planète. Cependant, ce nouveau monde lui offrait un regain d’espoir. Une petite chance de se construire une nouvelle vie, loin des préjugés qui avaient détruit sa vie. Mais le passé est accroché à chacun de nos pas. Et, plus l’on essaye de s’en éloigner, plus il nous rattrape. Et cela, Dragon Emperor le savait pertinemment. Plantant son regard ambré dans les yeux du mâle tacheté il attendit une réponse. Un mot qui serait peut-être le début de quelque chose.